La Fabrique

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Le dispositif se déroule à la Clinique des Hauts de Cenon . Il repose sur deux rencontres avec des personnes volontaires . Je ne sais rien d’elles ou presque, je connais leurs noms et le fait qu’elles sont ici pour une raison médicale .

En amont, il y a tout un travail de l’équipe des soignants qui pensent à ce dispositif et le proposent aux patient(e)s .
Les personnes sont accueillies en parlant de ce qu’elles veulent , c’est un espace qui leur appartient .
Souvent, la maladie est abordée par ce qu’elle amène de charges pour la personne ( douleurs, fatigue, traitement, solitude, angoisses, non confiance en soi, mésestime , dépression , sentiment de perte , de dévalorisation …), l’image d’eux-mêmes est fortement affectée . La majorité des personnes qui acceptent de me rencontrer ne s’aiment pas en photo , et dans le contexte qui les fait être ici , ne s’aiment pas tout court .
A la première rencontre , un lien se crée , j’accueille leur parole , je lui donne de l’importance , souvent , la personne part de ce qu’elle ressent , c’est diffus , flou , envahissant, elle subit, elle se sent impuissante , en colère , déprimée , résignée , en combat … Au delà de tous ces symptômes, qui prennent une grande place , il y a les ressources de la personne , ce qu’elle aime , ce qu’elle rêve , ce qu’elle désire .
La maladie rétrécit cet accès . L’entretien ouvre une petite fenêtre vers leur imaginaire . J’amorce ce mouvement , et nous embarquons vers leurs rêveries … Sur une table, sont disposées des objets que j’emmène, des gants de boxe, des tissus de différentes textures et couleurs, des éventails, des chapeaux, un vieil appareil photo, etc … Ces accessoires peuvent être utilisés… ou pas .
Ces instants sont précieux, spontanés, créatifs, et ouvrent à un partage . « Ça fait du bien de parler et de rire aussi » dira un monsieur . Oui , nous rions durant ces séances .
L’idée est celle là , fabriquer des photos ensemble , croiser nos imaginaires, relancer des processus psychiques inhibés par la maladie . La première séance est faite de la rencontre , de ce que la personne aborde , et de la fabrication de photos .
A la fin , je leur demande de poursuivre ce travail en réfléchissant à quelle photo ils aimeraient faire la prochaine fois et d’emmener quelque chose qu’ils aiment (objet , vêtement etc … penser à un lieu aussi, cela permet de tisser un fil jusqu’à la prochaine rencontre .
Nous repartons à la deuxième rencontre sur les photographies de la fois précédente , les personnes sont souvent surprises , le fait de les trouver belles est attribué à l’oeil de la photographe, comme si l’image venait révéler l’écart entre comment ils se perçoivent et comment ils apparaissent sur la photographie.
Les deuxième séances sont très riches, les personnes portent des vêtements qui touchent à leur identité, des objets , écrivent des textes, ils ont imaginé une photo , une situation qu’ils mettent en scène, comme aller à la plage , certains veulent aller dehors , car les arbres du parc ont participé à leur apaisement , d’autres , être photographié dans leur voiture pour faire une photo bling bling .…
Je les suis . C’est eux qui prennent la main , c’est eux qui savent , c’est eux qui reprennent un peu confiance.
Cette proposition leur donne la possibilité de sortir de la passivité, d’avoir la main , d’esquiver, de jouer . En partant me montrer l’arbre qu’elle aime à l’extérieur, une dame me dira qu’on la prend pour une visiteuse, c’est une manche de gagnée …
Je ne les prends pas en photo , je fais une photo avec eux .
A la fin de la deuxième séance , ils repartent avec quelques tirages papier de la première fois . Les personnes sont souvent touchées par ce petit cadeau . En échange, ils m’ont donné un nom « la psycho-photo-logue ».
Le principal est qu’ils retrouvent du bon , du beau en eux. Dans mon regard , ils sont émouvants , car tous les êtres sont beaux dès qu’ils se laissent regarder.

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